Un décret du 25 juillet 2022 publié au Journal Officiel vient abroger le (si décrié) décret du 9 août 2022 qui prévoyait la mise en place du contrôle technique des 2 et 3 roues motorisés et des quadricycles à moteur à partir de janvier 2023. Revenons sur les « épisodes » de cette série feuilletonesque.
2014 - Une réglementation européenne
Depuis longtemps le sujet du contrôle technique des 2 roues motorisés préoccupe les autorités, oppose les parlementaires et agite les associations de motards. Plébiscité en France par le Comité interministériel de la sécurité routière en 2015 et par le Comité des experts du Conseil national de la sécurité routière (rapport novembre 2021), c'est la Directive européenne du 3 avril 2014 (2014/45/UE) qui a imposé un cadre contraignant pour l'ensemble des États membres. Cette réglementation européenne impose de soumettre à un contrôle technique périodique notamment les véhicules à moteur à deux ou trois roues des catégories L3e, L4e, L5e et L7e, de cylindrée supérieure à 125 cm3. Le texte européen fixe pour ces catégories une échéance : le 1er janvier 2022.
Août 2021 - C'est (enfin) parti… ou pas
Un décret du 9 août 2021 prévoit d'instaurer en France un contrôle technique pour les véhicules à moteur à deux ou trois roues et des quadricycles à moteur de toutes les catégories L : L1e, L2e, L3e, L4e, L5e, L6e et L7e.
L'entrée en vigueur de la mesure est prévue à partir du 1er janvier 2023, c'est-à-dire 1 an plus tard que l'échéance fixée par la Directive européenne. Et ce calendrier est progressif puisqu'il concerne d'abord les véhicules immatriculés avant le 1er janvier 2016 puis ceux immatriculés à une date ultérieure entre 2024 et 2026. À peine publié, le décret est annoncé comme « suspendu jusqu'à nouvel ordre » par le ministre chargé des transports alors même qu'il n'est juridiquement ni modifié ni abrogé et qu'il reste, sur le plan strictement du droit, applicable et en vigueur selon l'agenda prévu par le texte. Difficile pour l'usager de s'y retrouver. Facile d'imaginer l'agitation des parties prenantes à ce sujet en coulisses.
Décembre 2021- Des mesures de sécurité routière, alternative au contrôle technique obligatoire
Le 3 décembre 2021, le Gouvernement adresse à la Commission européenne une note indiquant sa volonté de mettre en place des mesures alternatives de sécurité routière. Objectif ? Revenir sur l'obligation du contrôle technique tout en respectant la Directive européenne. Une porte de sortie qui permet légalement aux États membres de déroger à l'obligation d'imposer le contrôle technique périodique prévu par la Directive, si l'État a mis en place des mesures alternatives de sécurité routière pour les véhicules concernés, en tenant notamment compte des statistiques pertinentes en matière de sécurité routière pour les cinq dernières années. C'est ce qu'autorise précisément l'article 2 de la Directive et ce sont ces exemptions que la France a communiquées à la Commission Européenne.
Les mesures mises en avant par la France sont au nombre de 6 :
- Création d'une prime à la conversion pour l'achat d'un deux-roues électrique ou très peu polluant pouvant atteindre jusqu'à 6 000 €, sans condition de revenu ;
- Installation dès 2022 de radars pour contrôler les émissions sonores, notamment des 2 roues, et maintien d'un haut niveau de sanctions pour les pots d'échappement non homologués ou trafiqués, pouvant atteindre 1500 € et l'immobilisation du véhicule ;
- Renforcement de la communication sur la sécurité des deux roues ;
- Obligation, à compter de 2022, de faire figurer dans les plans départementaux d'actions de sécurité routière (PDASR) les enjeux liés aux deux et trois roues ;
- Adaptation du permis de conduire B en y intégrant la problématique de la sécurité des 2 roues, parallèlement à l'ajout dans les permis A1 et A2 d'un point spécifique sur l'entretien du véhicule, l'écoconduite et de la problématique du bruit ;
- Renforcement de la protection des usagers de la voie publique avec le dispositif de signalisation des angles morts des véhicules lourds.
Avril 2022 - Des combats qui s'opposent
Alors que les associations de motards contestent le principe même d'un contrôle technique obligatoire, d'autres au contraire militent en sa faveur et s'impatientent. Elles saisissent le Conseil d'État, dans le cadre d'une procédure d'urgence (référé) pour obtenir la suspension du décret du 9 août 2021 et l'échéance du 1er janvier 2023 qu'il fixe pour l'obligation du contrôle technique en France et qui contrevient à l'agenda prévu à l'échelle européenne. Elles arguent de l'atteinte à l'intérêt public qu'engendre cette situation en matière de sécurité routière et de protection des populations contre la pollution de l'air et les nuisances sonores des véhicules.
Mai 2022 - Le Conseil d'État tranche, le contrôle technique n'attendra pas 2023
Le juge des référés, dans son ordonnance du 17 mai 2022, estime « qu'il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret ». Il suspend le texte en attendant de se prononcer sur le fond du dossier. Ce n'est pas l'obligation du contrôle technique qui est remise en cause mais bien son entrée en vigueur, fixée à janvier 2023, jugée trop tardive et contraire aux dispositions européennes. Aux arguments de l'administration qui défendait la nécessité de faire accepter la mesure par les personnes concernées et les conditions matérielles pour la mettre en œuvre, le juge a estimé qu'un report au-delà du 1er octobre 2022 n'était pas justifié.
Juillet 2022 - Et puis finalement…
Après avoir statué dans cette procédure d'urgence en mai, le Conseil d'État rend deux décisions sur le fond du dossier le 27 juillet :
- il annule les articles du décret d'août 2021 qui fixent l'entrée en vigueur (tardive) du contrôle technique au 1er janvier 2023 ;
- il annule la décision du ministre chargé des transports qui annonçait le 12 août 2021 suspendre jusqu'à nouvel ordre le décret décrié. Il rappelle habilement que ledit ministre n'avait légalement pas le pouvoir de prendre une telle décision.
"Hasard" du calendrier, ces décisions interviennent un jour après la publication au Journal officiel d'un autre décret (2022-1044 du 25 juillet 2022) qui abroge purement et simplement le texte d'août 2021 et supprime ainsi l'obligation d'un contrôle technique périodique pour les véhicules concernés. C'est bien la carte des mesures alternatives de sécurité routière, mentionnées dans les visas du décret, que la France veut jouer face à la Commission Européenne. Fin de la partie ? À suivre car les associations favorables au contrôle technique des 2 et 3 roues motorisés annoncent déjà vouloir ressaisir le Conseil d'État pour faire annuler le décret... qui annule l'instauration du contrôle technique.
On se retrouve pour la saison 2 ?
Références :
- Décisions du Conseil d'État du 29 juillet 2022 "Le Conseil d'Etat juge illégal le report du contrôle technique des deux-roues"
- Décret n° 2022-1044 du 25 juillet 2022 abrogeant le décret n° 2021-1062 du 9 août 2021 relatif à la mise en place du contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues et quadricycles à moteur
- Décision du Conseil d'État du 17 mai 2022 "La mise en place du contrôle technique des deux roues ne peut être décalée au-delà du 1er octobre 2022"
- Communiqué "Jean-Baptiste Djebbari présente les mesures alternatives au contrôle technique des deux roues motorisées"
- Décret n° 2021-1062 du 9 août 2021 relatif à la mise en place du contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues et quadricycles à moteur
- Directive 2014/45/EU relative au contrôle technique périodique des véhicules à moteur et de leurs remorques, et abrogeant la directive 2009/40/CE
- Rapport Comité des experts, Conseil national de la sécurité routière "Sécurité des deux-roues motorisés : vers un usage adapté à leur vulnérabilité"