“Contrairement à l'alcool où les risques au volant sont intégrés, les consommateurs de cannabis pensent rouler sans danger. Ils disent adopter une conduite cool”, déclarait Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la sécurité routière dans les colonnes du Figaro en mai dernier. Or, conduire sous influence multiplie par 1,7 le risque de provoquer un accident mortel. Conjugué à une consommation d'alcool, ce risque est multiplié par 29, selon l'Observatoire français des drogues et toxicomanies.
En mars dernier, des équipes de l'hôpital Raymond-Poincaré AP-HP, de l'Inserm et de l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, dirigées par le Docteur Sarah Hartley et le Professeur Jean-Claude Alvarez, ont mené l'étude française Vigicann. Son objectif : déterminer l'impact du cannabis fumé sur les temps de réaction au volant, évalués par des tests de vigilance. Elle a également analysé les performances de conduite, mesurées sur simulateur, de fumeurs occasionnels et de fumeurs chroniques.
“LES EFFETS SONT PLUS PRONONCÉS ET DURENT PLUS LONGTEMPS SUR LES FUMEURS OCCASIONNELS”
Les tests ont été réalisés par sept fois sur chacun des sujets examinés : 15 fumeurs chroniques (fumant un à deux joints par jour) et 15 fumeurs occasionnels. L'étude a ainsi confirmé une baisse de la vigilance et une altération des capacités à conduire après avoir fumé. “Ces résultats montrent ainsi que la consommation de cannabis fumé conduit à une augmentation rapide du THC dans le sang des fumeurs, à l'origine d'un allongement de leur temps de réaction et d'une modification de leurs performances de conduite, précise l'étude. Les effets sont plus prononcés et durent plus longtemps chez les fumeurs occasionnels que chez les fumeurs chroniques, notamment à cause du phénomène d'accoutumance.”
Les effets après consommation - troubles de l'attention, difficultés de coordination, diminution de la vigilance… - durent ainsi en moyenne 8 h chez les fumeurs quotidiens, contre 13 h chez les fumeurs occasionnels. Le taux de THC (tétrahydrocannabinol), principe actif du cannabis, est par ailleurs deux fois plus élevé chez les fumeurs chroniques, pour une même dose consommée. “Malgré des conditions de consommation totalement standardisées (15 bouffées de 2 secondes toutes les 40 secondes), les fumeurs chroniques absorbent plus de THC par joint que les fumeurs occasionnels pour une dose identique, afin de compenser l'accoutumance”, précise ainsi l'étude.
En mai dernier, l'association Prévention routière et l'ETSC (European Transport Safety Council) ont organisé une conférence pour débattre de la conduite sous stupéfiants et de l'impact de la dépénalisation du cannabis sur la sécurité routière. Cette conférence a révélé que 16 % des conducteurs français déclarent avoir déjà conduit après avoir consommé du cannabis (versus 11 % en moyenne en Europe). Les Français sont aussi les plus gros consommateurs européens, avec 1,6 million de fumeurs recensés. Pour autant, le cannabis n'est pas légalisé en France, même si l'Agence du médicament (ANSM) a autorisé l'expérimentation du cannabis thérapeutique le 11 juillet dernier sous certaines conditions.
APRÈS LA DÉPÉNALISATION, UNE HAUSSE DE LA CONDUITE SOUS INFLUENCE ?
Cette conférence a surtout été l'occasion d'inviter des pays ayant déjà dépénalisé la consommation de cannabis pour estimer l'impact de cette décision sur la sécurité routière. À l'instar du Canada qui a voté cette loi depuis le 17 octobre 2018, en prenant en considération les risques routiers. “Il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur l'impact. Cependant, avant la loi, les indicateurs ont augmenté. On constate à la fois une hausse de la consommation de cannabis et une hausse de la conduite sous influence”, soulignait ainsi Ward Vanlaar, chef de l'exploitation de la FRBR (Fondation de recherches sur les blessures de la route au Canada). En 2017, l'Office français des drogues et de la Toxicomanie (OFDT) rappelait que le cannabis est consommé par plus de 5 millions de personnes (au moins une fois dans l'année) et près de 700 000 de manière quotidienne. En 2016, 22 % des conducteurs tués sur les routes étaient dans un accident avec des protagonistes sous stupéfiants. Parmi les conducteurs âgés de 18 à 24 ans impliqués dans un accident mortel 20 % sont positifs à au moins un stupéfiant. Cette proportion est de 22 % pour les 25-34 ans. Conduire après avoir consommé du cannabis n'est définitivement pas “conduire à la cool”…